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SÉVIGNÉ (MME DE) : INTRODUCTION AUX LETTRES DE






101    Une sainte grand-mère

    La famille de Mme de Sévigné lui fournissait l'exemple d'une autre sorte de gloire, celle de la sainteté. Jeanne Frémyot, bientôt veuve de Christophe de Rabutin, baron de Chantal, qui ne périt pas de ses duels mais d'un acci-dent de chasse, quitta le monde pour suivre l'enseignement de l'évêque d'Annecy, François de Sales, et fonder avec lui l'ordre des religieuses de la Visitation. François fut canonisé en 1666 ; la mère de Chantal ne le sera qu'en 1767, après avoir été béatifiée en 1751. Mais, dans les lettres de sa petite-fille, elle est déjà la " bienheureuse " mère de Chantal. Elle eut la sagesse de ne pas orienter l'enfant vers un de ses couvents.
    Apparemment, les circonstances s'y prêtaient. Orpheline de père à un an en 1627, Marie perd sa mère à sept. Elle vit, elle a toujours vécu jusque-là, chez ses grands-parents maternels. Or sa grand-mère, Marie de Bèze, meurt en mai 1634, et son grand-père, Philippe de Coulanges, en décembre 1636. Peu d'enfants ont connu tant de deuils, et si rapprochés.

    L'argent des Coulanges

    Quand sa grand-mère paternelle meurt en décembre 1641, la future Mme de Sévigné n'a plus, à quinze ans, ni ses parents ni aucun de ses grands-parents. Mais elle a des oncles et des tantes, frères et soeurs de sa mère. Philippe de Coulanges et Marie de Bèze avaient eu au moins treize enfants, dont huit vécu-rent autour de la petite Marie de Rabu-tin. L'aîné, appelé Philippe comme son père, donna à l'orpheline cinq cousines et cousins germains à peine plus âgés qu'elle. Et c'est à ce Coulanges que le conseil de famille, réuni au Châtelet de Paris, confie la garde et l'éducation de l'orpheline. A son foyer, Marie vivra une enfance libre, joyeuse et heureuse. Longtemps après, en 1685, elle se sou-vient des facéties de son cousin germain, le " petit Coulanges ", né quand mourut sa mère, auquel il fallait " don-ner le fouet " parce qu'on craignait que ses imaginations ne le rendissent " fou ", lui et sa petite soeur, la future comtesse de Sanzei.
    Les Coulanges étaient des bourgeois, gens de finances qui s'étaient enrichis dans les fermes des impôts et les fourni-tures aux armées. Chez eux, la future Mme de Sévigné apprit à tempérer les valeurs aristocratiques et à connaître celle de l'argent. Un autre oncle, Christophe de Coulanges, son aîné de dix-neuf ans, et déjà abbé de Livry, prendra bientôt le relais de Philippe et tiendra auprès d'elle le rôle ingrat d'homme d'affaires jusqu'à sa mort en 1687, à quatre-vingts ans.
    Une épouse délaissée
    Le " bon abbé " ne commit envers elle qu'une erreur, son mariage. Selon Talle-mant des Réaux, ce fut en effet cet oncle qui, en 1644, pour faire plaisir au coadjuteur de Paris, Paul de Gondi, futur cardinal de Retz, donna sa nièce, " la jolie demoiselle de Chantal ", à un membre d'une famille alliée aux Gondi. Né en 1623, Henri de Sévigné était un beau garçon écervelé (" pas même un honnête homme ", selon le même auteur), qui ne craignait pas plus les duels que les Rabutin. Il périt des bles-sures reçues en combattant le chevalier d'Albret, à propos d'une de ses conquêtes, Mme de Gondran, dite " la belle Lolo ", qui n'était pas une vertu. Ce n'était pas la première fois qu'il trompait sa femme, au demeurant frigide d'après les confidences qu'il aurait faites à Bussy. A quoi s'ajoute que la jeune marquise de Sévigné passa la majeure partie du temps de son mariage (près de quatre ans, dont trois hivers, sur sept ans et demi) en Bretagne où Sévigné avait ses terres, au Buron, près de Nantes, ou dans la solitude des Rochers, près de Vitré. De cette époque, on pourrait faire un très sombre tableau et voir dans la marquise le symbole tragique de l'épouse délais-sée d'un mari coureur.