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SÉVIGNÉ (MME DE) : INTRODUCTION AUX LETTRES DE






    Naissance à l'écriture

    Mme de Sévigné a quarante-cinq ans, et elle n'a rien écrit qui vaille. Sans les deux mille six cents pages posté-rieures au départ de Mme de Grignan pour la Provence, lirait-on celles (moins de cent) qui contiennent les lettres écrites avant lui ? S'il fallait, dans sa vie, ne choisir qu'une date, ce serait assurément celle du 6 février1671. Ce jour-là, une épistolière naît soudain, qui suscitera l'admiration de la postérité. Mais elle n'écrit que pour sa fille, dont seul lui importe le juge-ment, ou plutôt les sentiments. Là se trouve le noeud des divers paradoxes dans lesquels va s'inscrire au fil du temps cette oeuvre singulière, les Lettres de Mme de Sévigné.

    Une passion tardive

    Le premier paradoxe est assurément son amour pour Mme de Grignan. On n'imagine pas Célimène avec une fille qu'elle adorerait pour compenser son veuvage. La spirituelle marquise des salons ou de la cour de Foucquet, la femme d'esprit des portraits de Mlle de Scudéry ou de Mme de La Fayette n'est pas alors uniquement mère, ni mère exem-plaire, encore moins mère abusive. Dans ses portraits, on ne songe même pas à relever qu'elle a des enfants. Sage-ment, la marquise place Françoise-Mar-guerite au couvent, chose " jugée bonne alors, dit-elle, pour son éducation ". Elle se conforme à l'opinion commune et n'hésite pas à se séparer de son enfant. A peine peut-on relever que, du moins, lorsqu'elle part pour la Bretagne, elle l'y conduit avec elle, et la transfère de la Visitation du Faubourg Saint-Jacques à Paris au couvent du même ordre à Nantes. Elle ne se désinté-resse pas de sa fille. Elle n'en fait pas non plus le centre de son existence. Mère et fille ont alors correspondu. C'est Mme de Sévigné qui le rappelle plus tard, et que l'enfant, à l'âge où on joue à la pou-pée, gardait précieusement ses lettres. On regrette leur totale disparition. Elles aideraient à saisir la qualité et le degré de la tendresse de la mère pour la petite pensionnaire.


    Une fille mal jugée

    Parce qu'on a pensé valoriser la mère en dévalorisant la fille, on a longtemps mal lu les lettres à Mme de Grignan. On a cru y voir le portrait d'une femme hautaine, égoïste, sûre d'elle, raisonneuse, sèche, pour tout dire d'une enfant gâtée. Mais Françoise-Marguerite n'a pas été élevée comme Marie de Rabutin dans la douceur d'un foyer foisonnant. Si elle a été gâtée, ce fut par la " bonne éducation " des religieuses visitandines, filles d'un ordre fondé par son arrière-grand-mère. C'est chez elles que la future comtesse apprit à se défier de la spontanéité et à se refermer sur elle-même. Au lieu des " folies " du petit Coulanges, elle entendait les reli-gieuses l'exhorter à la piété et à la sagesse. Elles lui enseignaient qu'il fal-lait mépriser le monde et ses grandeurs. L'enfant enregistrait leurs leçons et oubliait d'apprendre à aimer la vie.

    Mme de Sévigné comparera un jour sa fille à la femme forte de l'Ecriture. Cette force ne lui a pas été donnée ; elle a été conquise sur l'inquiétude et le doute. On se trompe lorsque, dans tant de pages où sont vantés ses mérites, on voit seulement la preuve d'une adula-tion aveugle pour une idole orgueil-leuse. Il faut les lire comme les efforts constants d'une mère qui cherche plus ou moins adroitement à rassurer un enfant inquiet. En Mme de Grignan dominent l'incertitude, la peur de mal faire, le doute sur soi, avec les inhibi-tions que cela comporte et les brusques colères qui en sont la contrepartie. La comtesse vit empêtrée dans ses contra-dictions, raisonnable et sensible, timide et emportée, affectueuse et silencieuse, pleine de bonne volonté et souvent mal jugée. Sa froideur apparente est une défense contre la mauvaise opinion d'autrui, qu'elle fortifie par une conduite qui voudrait l'infirmer.