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SÉVIGNÉ (MME DE) : INTRODUCTION AUX LETTRES DE






    Texte privé, publication forcée
    Légende récente (elle remonte au début du dix-neuvième siècle), mais tenace, on a maintes fois répété que les lettres de Mme de Sévigné (sans distinguer entre ses correspondants) étaient lues et admirées dans les salons, et même qu'elles étaient soigneusement rédi-gées dans cette intention, voire en vue de l'impression. Il n'en est rien. Perrin, chargé par l'unique héritière de Mme de Grignan, Pauline de Simiane, d'éditer les lettres de sa grand-mère, commence sa préface en insistant sur le caractère fortuit de leur publication : " Les lettres d'une mère à sa fille, quelque parfaites qu'elles soient, paraissent destinées à demeurer dans l'oubli, et celles de Mme de Sévigné à Mme de Grignan n'auraient jamais vu le jour si, pour l'intérêt même de sa gloire, on ne s'était cru obligé de lui faire à ce sujet une espèce d'infidélité après sa mort. " En clair, cela veut dire que seule la parution de trois éditions subreptices (en 1725-1726) a décidé la famille, à son corps défendant, à donner tardive-ment au public (en 1734, puis 1754) un texte revu, corrigé et expurgé. Les lettres de l'épistolière la plus célèbre, la plus connue et la plus lue depuis trois siècles n'ont pas été écrites pour le public et ont été divulguées par " infi-délité ".


    Dans le sillage du cousin Bussy
    Les éditions subreptices des lettres à Mme de Grignan proviennent en effet de la divulgation involontaire d'une copie de ces lettres, destinée à quelques " lecteurs amis ", préparée par Amé-Nicolas de Bussy-Rabutin, le fils aîné de l'auteur de L'Histoire amoureuse des Gaules. Il avait publié les lettres de son père en 1697 d'après les manuscrits pré-parés à cette intention par leur auteur, qui y avait joint les réponses de ses cor-respondants. C'est là, parmi ces réponses destinées à mettre en valeur les lettres d'un " maître " reconnu, que l'on a pour la première fois découvert celles de sa cousine, que certains osèrent juger supérieures. Mme de Sévigné est entrée dans la littérature dans l'ombre du succès de son cousin Bussy.
    Influencé par ces jugements favo-rables, Amé-Nicolas demanda à Pauline de Simiane, après 1715, de lui trans-mettre les lettres de sa grand-mère à sa mère. Elle lui en envoya plusieurs lots. Il entreprit de les faire copier, mais mou-rut avant d'avoir achevé son entreprise, avant même d'avoir décidé si la copie en cours demeurerait une édition confiden-tielle destinée à la famille et à quelques amis, ou si elle deviendrait le point de départ d'une édition des lettres à Mme de Grignan. Dans la confusion de sa mort, en 1719, on prit des copies subrep-tices de ses copies, base des éditions qui firent enfin connaître, pour la première fois, des lettres de Mme de Sévigné à sa fille (une petite partie de ces lettres) trente ans après sa mort.
    Quant à la copie effectuée par Amé--Nicolas de Bussy, elle disparut pendant près de deux siècles. On ne la retrouva, par hasard, qu'en 1872. On ne l'utilisa pour éditer les lettres qu'en 1953... A défaut des autographes, presque tous détruits, cette copie fournit, pour une partie seulement des lettres (319 sur 764), un texte beaucoup plus fidèle que celui des anciennes éditions. Il y a donc désor-mais, intimement mêlées au fil des jours, deux Mme de Sévigné s'adressant à sa fille, l'une fortement métissée par Perrin selon la volonté de sa petite-fille, l'autre presque authentique.