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UNE RÉPUBLIQUE DES "LETTRES" SOUS LE ROI SOLEIL






Spécialiste incontesté du XVIIe siècle auquel il a voué une grande partie de sa vie et de son oeuvre, Roger Duchêne, récemment disparu, nous lègue, comme un aboutissement logique à sa longue quête, un ouvrage magistral sur l'éclosion de la lettre "moderne" en un siècle où, désacralisée, la pure érudition jusqu'alors maîtresse du genre, cédait le pas au naturel, au "personnel".

     Dès le XVIe siècle, la connaissance du latin n'était plus indispensable à la manifestation du génie littéraire. La lettre en langue vulgaire prend sa place en littérature avec ses règles, ses contraintes, mais aussi l'art de s'en affranchir en exprimant une forme d'intimité, hors de l'apprentissage rhétorique.

    Du coup, au XVIIe, les maîtres de l'art épistolaire, les Guez de Balzac, Voiture, Bussy de Rabutin trouvent chez les femmes, écartées de la tradition culturelle savante, des rivales efficaces dans l'art de plaire en communiquant. Véritable révolution culturelle, écrire n'est plus un acte noble réservé à de graves spécialistes mais une conduite banale et ludique inspirée de la culture mondaine de salon.

     Restait aux lettres de femmes à vaincre la barrière de l'édition : ce n'est qu'en 1697, à la faveur d'une partie de sa correspondance dans l'édition des lettres de son cousin Bussy de Rabutin que lecteurs et éditeurs découvrent les talents (et bientôt la supériorité) de Mme de Sévigné...

    De la lettre familière à la lettre personnelle en passant par la galante, Roger Duchêne mène une enquête passionnante à travers un XVIIe siècle qui offre à la lettre de meilleures conditions de circulation grâce à la réorganisation des services postaux. Débusquant la lettre dans tous ses états, la confrontant à la conversation, aux mémoires, à l'épître, aux confessions, la rencontrant au théâtre, dans les Gazettes et, pour finir, dans le roman épistolaire, l'auteur prouve que l'érudition, lorsqu'elle est dominée avec virtuosité, peut passer chez le lecteur comme "une lettre à la poste".

    Pierre ECHINARD, Marseille, N°214, Octobre 2006

    Comme une lettre à la poste. Les progrès de l'écriture personnelle sous Louis XIV, par Roger Duchêne, Fayard, 2006, 370 pages, 22 euros.