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IMAGES FÉMININES CHEZ LA FONTAINE - MARIE-ODILE SWEETSER






Extrait de "Images féminines chez La Fontaine : traditions et subversions", Correspondances, (Gunter Narr Verlag, Tübingen et Publications de l'université de Provence, Aix-en-Provence.

    L'attitude discrètement subversive de l'auteur se fait jour dans la distanciation prise par rapport à ses personnages : hommes, femmes et narrateur [1], dont les traits : vanité, désir de vengeance, scepticisme et naïveté sont poussés à l'absurde pour créer un effet comique, ludique, comme Roger Duchêne l'a bien vu : "En citant ses modèles, l'auteur reconnaissait qu'il poursuivait une carrière d'imitateur, non de novateur. Son originalité n'était pas dans l'invention mais dans l'expression et la disposition de la matière. Il y avait largement de quoi exercer sa liberté (...) A la différence de presque tous les théoriciens de son temps (...) La Fontaine défend, d'une façon très moderne, l'idée d'un texte dont la construction, toute de fantaisie, ne dépend que des règles de son bon fonctionnement (...). Conteur à succès, il revendique le droit à une technique adaptée à la nature marginale de son oeuvre" [2]. Par suite l'identification assumée par le lecteur entre le narrateur et l'auteur est un leurre savamment ménagé. L'auteur est en fait le maître d'oeuvre qui manipule ses marionnettes, ses personnages et son destinataire, le narrateur aussi bien que le lecteur. Toutefois, le critique moderne est amené, après réflexion, à distinguer le narrateur, avec ses idées conventionnelles, simpliste dans ses commentaires, de l'auteur, artiste consommé, et dans la personne même de Jean de La Fontaine d'un double aspect : auteur habile à créer l'illusion, puis oubliant qu'il est l'auteur du conte, redevenu lecteur à son tour, "gros Jean comme devant", charmé par son propre texte.

    Marie-Odile SWEETSER


[1] Roger Duchêne, Jean de La Fontaine, p. 248 : "Celui qui présente et commente les aventures de Joconde n'a pas plus de réalité que Joconde lui-même (...). Pour l'auteur, cette parenthèse (l'intervention du narrateur) est un moyen de se mettre à distance de son récit, et nous avec lui. Elle en souligne le caractère arbitraire" ; p. 249 : "Toutes les théories sur la narration, et ce qu'on sait aujourd'hui sur la nécessité de ne pas confondre le La Fontaine de l'état civil et le conteur d'histoires, sont, par suite, impuissantes à lutter contre une identification voulue et savamment agencée. Ce brouillage des identités fait partie de son personnage."
[2] Roger Duchêne, Jean de La Fontaine, p. 242-243.