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L'EXPOSITION VALLAYER-COSTER À LA VIEILLE-CHARITÉ - DANIÈLE GIRAUDY






J'ai rencontré le Professeur Roger Duchêne à l'occasion du colloque qu'il organisait avec passion sur la marquise de Sévigné, et de l'exposition qui l'accompagnait au musée Cantini, dont j'étais le conservateur auprès de Marielle Latour.
    Nous avions été immédiatement conquises par l'enthousiasme érudit de M. Duchêne.
    Spécialisée dans l'art moderne et contemporain, il ne m'est guère arrivé de me repencher sur l'époque si chère au Professeur Duchêne, sauf à l'occasion de l'exposition Vallayer-Coster à la Vieille-Charité, trente années plus tard.
    Première rétrospective consacrée en France à cette artiste méconnue, après celles qu'avaient organisées les musées de Dallas et la Frick Collection de New York à la suite de l'acquisition, par le musée du Louvre en 1996, de deux magnifiques natures mortes.
    Je suis heureuse de cette occasion de rendre hommage au grand érudit qu'était le Professeur Roger Duchêne, en apportant à cette Guirlande de Julie la personnalité rare et raffinée d'Anne Vallayer-Coster, dont l'oeuvre n'a pas recueilli la notoriété qu'elle mérite.


Avant-propos


    "Je vois que la peinture de genre a presque toutes les difficultés de la peinture historique, qu'elle exige autant d'esprit, d'imagination, de poésie même ; une égale science du dessin, de la perspective, de la couleur, des ombres, de la lumière, des caractères, des passions, des expressions, des draperies, de la composition ; une imitation plus stricte de la nature, des détails plus soignés ; et que, nous montrant des choses plus connues et plus familières, elle a plus de juges et de meilleurs juges", Diderot, Essais sur la peinture, "Pour servir de suite au Salon de 1765"

    Fille de l'orfèvre Joseph Vallayer, compagnon des Gobelins, Anne Vallayer (1744-1818), comme deux siècles plus tard le sculpteur Louise Bourgeois, passa son enfance parisienne à la manufacture royale des tapisseries, creuset d'artistes et d'artisans qui marquèrent ses dix premières années.

    Ses contemporains ont vanté son talent et son charme. L'histoire de sa vie et de sa carrière, injustement tombées dans l'oubli et précisément reconstituées par Marianne Roland Michel, montre à la fois ses dons pour la peinture, les succès rapides qui marquèrent les étapes de sa réussite, et l'intelligente gestion de ses capacités.

    Elève de Joseph Vernet, il lui sera défendu, par décence, comme à ses compagnes, d'étudier le nu masculin. Interdite de peinture historique, le "grand genre", et condamnée à des modes mineurs, elle choisira la nature morte, où, très vite, elle excelle, tandis que des collectionneurs influents la remarquent et accroissent sa renommée - le comte de Merle, le prince de Conti, le marquis de Marigny, le financier Beaujon...

    S'intéressant également au portrait, elle y aura des commanditaires célèbres, notamment Mesdames, filles de Louis XV. Dans ce domaine, pourtant, Elisabeth Vigée-Le Brun (1755-1842) l'éclipsera.

    La voilà bientôt, en 1770, fait rarissime, membre de l'Académie. A l'âge de vingt-cinq ans, elle doit à son seul mérite d'être l'une des quatre femmes qui y sont admises. On loue "sa magie d'imitation" et même ces messieurs décrètent qu' "elle peint en habile homme".

    Avec son morceau de réception Les Attributs de la Musique, prêté à Marseille par le musée du Louvre, elle fait preuve d'une grande maîtrise, qui doit beaucoup à Chardin pour la traduction des différentes matières : velours frappé, broderies d'or sur la musette, bois vernis des instruments à cordes, ivoire, cuivre, ruban de moire, partition, qu'elle juxtapose avec jubilation.

    Savante, Anne Vallayer a également regardé avec attention les maîtres de la nature morte hollandaise des XVIe et XVIIe siècles, qu'elle admire et dont elle fait collection. A leur minutieuse précision, que l'on trouve aussi chez Sébastien Stoskopff (1597-1657), elle ajoute dans la touche et dans le dessin des contours un moelleux qui sera sa marque, traitant les apports techniques de son époque avec une virtuosité d'exécution qui montre son aisance.

    Dans ses magnifiques Panaches de mer, lithophytes et coquilles de 1769, acquis en 1992 par le musée du Louvre, elle joue avec brio de l'éclat mat des porcelaines et des bénitiers contre l'arborescence des coraux, des reflets des nacres, du découpage dentelé des gorgones sur le fond sombre de la toile. La maîtrise du peintre officiel qu'elle est devenue s'y déploie avec tout son talent sans jamais tomber dans la virtuosité du trompe-l'oeil ou dans la sécheresse de l'étude documentaire.

    Les grands bouquets qui firent son succès nous enchantent encore, avec leurs gouttes de rosée suspendues sur la chair des pétales, leurs reflets sur le marbre des consoles, le velouté des pêches, la luminosité des raisins, l'éclat d'une fenêtre dans la transparence d'un verre de cristal, tandis que, dans la Nature morte au homard de 1781, prêtée par le Toledo Museum of Art, la petite silhouette du peintre s'esquisse sur la panse arrondie d'une soupière d'argent, comme une miniature impressionniste avant l'heure.

    En 1780, faveur insigne, elle obtient d'être logée au Louvre, sous la Grande Galerie (ses voisins sont Greuze, Vernet, Hubert Robert, Cochin), grâce à la protection de la reine, témoin un an plus tard de son mariage à Versailles avec un avocat au Parlement, Jean-Pierre Silvestre Coster.

    La dernière nature morte (Nature morte au homard), appartenant également au Louvre, résume en 1817 son testament de peintre. Elle y rassemble sous une voûte de pierre brune tous les thèmes qui ont fait sa gloire sous l'Ancien Régime : la carapace rouge d'un homard, les plumes des bécasses, terrine, bocaux, pain, fruits, fleurs, légumes, vaisselle, sparterie, jouent de concert sur une pièce de lin. Une tige de lis sur la droite salue discrètement le retour de la monarchie à laquelle elle était restée fidèle, et dont la chute entraîne l'oubli dont elle sera victime.

    Alors que ses tableaux servent désormais de modèles aux manufactures de tapisseries des Gobelins et de la Savonnerie, Anne Vallayer-Coster s'éteint en 1818 à l'âge de soixante-quatorze ans dans son appartement de la rue du Coq-Héron, tout près du Louvre où elle avait tant aimé habiter.

    Il faut rendre grâce à nos collègues américains du musée de Dallas, à ceux des musées de Washington et de la Frick Collection à New York, d'avoir rassemblé la centaine de peintures que nous sommes si heureux de dévoiler à Marseille pour permettre au public français de découvrir un peintre trop méconnu, ainsi qu'à Marie-Paule Vial, conservateur du musée des Beaux-Arts, et à son équipe, d'avoir saisi l'opportunité de cette étape marseillaise avant le retour vers tous ses prêteurs de cet oeuvre injustement confidentiel.

    Danièle GIRAUDY
    Conservateur général du Patrimoine
    Directeur des musées de Marseille