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LA MORT DE COLBERT. UNE DATE POUR LA PÉRIODISATION - JURGEN GRIMM






LA MORT DE COLBERT - UNE DATE POUR LA PÉRIODISATION PLAIDOYER POUR UNE PÉRIODISATION HISTORIQUE DE L'HISTOIRE LITTÉRAIRE

    Le titre de ma communication résulte d'un compromis. J'avais d'abord proposé le titre suivant : "Problèmes de périodisation littéraire : classicisme, post-classicisme, 'Frühaufklärung'". Mais il fallait le nom de Colbert dans le titre. Et c'est cela qui a donné le titre actuel, dont seul le point d'interrogation est sérieusement valable. Car, bien sûr, la mort de Colbert ne constitue pas, en elle seule, sur le plan littéraire, une rupture d'importance primordiale, autrement dit ne marque pas le passage de la période dite classique à la période dite postclassique. Mais si ce n'est pas la mort de Colbert, quel autre événement - ou bien quels autres événements - posséderai(en)t un poids suffisant pour marquer le passage entre deux périodes littéraires aussi importantes que le sont le "classicisme" et le "postclassicisme" ? D'ailleurs, que Colbert figure dans le titre ou non, n'est, au fond, que secondaire. Les réflexions que j'aimerais proposer ont un caractère méthodologique bien plus général et concernent d'une part la terminologie dont nous nous servons communément pour désigner les différentes époques littéraires, et d'autre part la délimitation temporelle de ces époques mêmes. Le but de ma communication est un plaidoyer pour une périodisation historique de l'histoire littéraire. La mort de Colbert et le passage de la période dite classique à la période dite postclassique ne sont qu'un point de départ qui nous mènera à des considérations plus générales.

    Avant d'entrer dans une discussion plus détaillée, il me paraît à propos de rappeler deux prémisses qui sont à la base de toute discussion sur les problèmes de périodisation littéraire. Premièrement : toute dénomination ou toute qualification d'une époque ou période littéraire se fait à l'aide de notions qui ont été "inventées", à des moments différents de l'histoire par des êtres humains eux-mêmes impliqués dans l'histoire. Ces valorisations ne représentent donc, en aucun cas, des valorisations absolues, mais constituent, tout au contraire, des jugements de valeur politiquement, socialement, historiquement médiatisés, donc idéologiquement déterminés. Deuxièmement : la délimitation dans le temps des époques ou des périodes littéraires est aussi arbitraire que leur dénomination. C'est toujours nous qui fixons les dates-limites d'une époque littéraire, nous, c'est-à-dire des hommes, impliqués dans l'histoire, menés par des curiosités et des intérêts personnels, munis de façon plus ou moins consciente d'une philosophie de l'histoire. Toute périodisation littéraire est donc fondée sur une terminologie idéologiquement déterminée et suppose, en même temps, une "philosophie de l'histoire", elle aussi conditionnée de façon multiple. La systématisation qui en résulte ne peut donc revendiquer, tout au plus, qu'une valeur relative.

    Ajoutons encore que nos notions traditionnelles telles que "classique", "baroque", "rococo", "romantique", "symboliste" et ainsi de suite sont peu aptes à exprimer la diversité et la richesse des périodes littéraires respectives. En partant de l'observation de la simultanéité de trois générations dans le même moment historique (la simultanéité du grand-père, du père et du fils), Wilhelm Pinder en était déjà venu en 1926 - pour l'histoire de l'art - à cette thèse fondamentale de la "non-simultanéité du simultané" ("Ungleichzeitigkeit des Gleichzeitigen") , thèse qui représente une étape importante en direction d'une mise en question du caractère absolu de nos notions en histoire de l'art et de la littérature. D'une façon plus générale, on pourrait dire que toutes nos notions respectives sont insuffisantes puisqu'elles n'arrivent pas à résumer sans équivoque la réalité qu'elles désignent. La diversité de l'histoire littéraire est, au fond, incompatible avec le caractère exclusif de nos notions littéraires. J'aimerais même oser affirmer que toutes les notions d'histoire ou de critique littéraire ne sont que des constructions auxiliaires plus ou moins arbitraires, inventées par l'homme pour créer de l'ordre autour de lui, pour systématiser et comprendre l'histoire, que ce soit l'histoire politique, sociale ou littéraire, et pour lui donner un sens.

    Mais revenons à des problèmes plus concrets ! Les historiens de la littérature, au moment où ils voulaient représenter l'ensemble de la littérature du "siècle de Louis XIV", ont dû ressentir assez tôt le besoin de classer l'immense production littéraire de cette période selon des critères qui, dans leur perspective, étaient purement littéraires et objectifs. Je ne peux retracer ici l'histoire de l'historiographie littéraire du XVIIe siècle, mais dois me contenter d'esquisser quelques modèles de périodisation.

    Nous savons que la canonisation des auteurs dits classiques a commencé avec l' Art poétique de Boileau - surtout en ce qui concerne "l'auteur du Misanthrope" ; qu'un peu plus tard "la querelle des anciens et des modernes" marque, paradoxalement, une nouvelle étape dans la mise en valeur de ces mêmes auteurs ; et qu'enfin, environ deux générations plus tard, Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV, fait le pas décisif vers la consécration définitive de Corneille, Molière, Racine et La Fontaine comme auteurs classiques, c'est-à-dire en tant que modèles littéraires en dehors du temps. La partie de leur oeuvre qui mérite l'épithète "classique" se situe, grosso modo - exception faite de Corneille - entre 1660 et 1680. Ces années représentent donc l'époque classique à proprement parler. Une fois cette classification réalisée, se posait automatiquement le problème annexe : Comment caractériser la littérature des 35 années restantes du règne de Louis XIV ? Et comment, éventuellement, classer la littérature qui précède cette littérature dite classique ?

    En simplifiant une réalité historiographique bien plus complexe, on arrive au modèle suivant : En partant du Siècle de Louis XIV (1751) et de l'Essai sur les moeurs (1756) de Voltaire, en passant par le Cours de littérature ancienne et moderne de Laharpe (1799), les Portraits littéraires (1836-39) et les Causeries du lundi (1851-57) de Sainte-Beuve jusqu'au Manuel de l'histoire de la littérature française (1897) de Brunetière, on peut voir que, petit à petit, s'est imposé un modèle triadique de l'histoire littéraire du XVIIè siècle : une époque dite préclassique précède la période classique à proprement parler qui commence vers 1660 et qui est suivie, à partir de 1680 environ, d'une période dite postclassique. Inutile d'insister sur le caractère idéologique d'une telle interprétation de l'histoire littéraire, puisque celle-ci est intimement liée à une interprétation analogue de l'histoire nationale : l'apogée du classicisme coïncide avec l'apogée de la monarchie absolue de Louis XIV. Les qualificatifs "pré-" et "postclassique" sont d'ailleurs imprégnés de valorisations idéologiques évidentes, puisque l'histoire de la littérature est considérée dans la même perspective téléologique que l'histoire nationale, qui, elle, atteint, dans les deux premières décennies du règne de Louis XIV, une gloire et une magnificence uniques dans l'histoire de France.

    Avec Lanson et après lui, les historiens de la littérature se rendent de plus en plus compte du caractère autonome de cette période dite postclassique, qui, dorénavant, posera deux problèmes. Premièrement : quand commence-t-elle et quand finit-elle, et quelles sont les raisons qui justifient le fait de parler de début et de fin d'une période ? Deuxièmement : faut-il, pour caractériser cette période, en rester à cette évaluation de "postclassique", ou bien ne vaut-il pas mieux lui donner une autre étiquette ?

    Ce n'est pas ici le lieu de discuter toutes les propositions faites pour marquer le début et la fin de cette période postclassique. Constatons simplement qu'à partir de l'Histoire de la littérature française de Lanson (1894) en passant par son Histoire illustrée de la littérature française (1923) et celle, également illustrée, de Bédier / Hazard (1924), puis par le Manuel de littérature française de Mornet (1924) et l'Histoire de la littérature française de Jasinski (1947) et encore par l'Histoire de la littérature française au XVIIe siècle d'Antoine Adam jusqu'aux grandes synthèses que représentent le Manuel d'histoire littéraire de la France des Éditions Sociales et la collection Littérature française éditée par Claude Pichois, ces différentes "Histoires" dont l'énumération pourrait être prolongée, illustrent de plus en plus nettement le besoin de justifier les coupures pratiquées à l'intérieur de l'histoire littéraire du XVIIe siècle et d'accorder à cette période une physionomie autonome. Dans bien des cas, les historiens ont recours à l'histoire dite événementielle. Ceci est valable surtout quand il s'agit de justifier la fin de cette période. 1715, date de la mort de Louis XIV, est proposée presque à l'unanimité. Pour marquer le début de la période, l'année 1679 joue un grand rôle : date, de la paix de Nimègue, qui voit Louis XIV à l'apogée de sa gloire militaire, presque comme arbitre de l'Europe. 1683 retient également l'attention des historiens de la littérature pour des raisons différentes : la mort de Colbert surtout, qui survient le 6 septembre ; la mort de Marie-Thérèse d'Autriche ensuite, épouse de Louis XIV, mort qui sera bientôt suivie par le mariage clandestin de Louis et de Mme de Maintenon. 1685 finalement, année de la révocation de l'Édit de Nantes et de toutes les conséquences désastreuses qui en résultent pour la France.

    Parallèlement à ces justifications par l'histoire événementielle, on trouve celles qui ont recours à une histoire des idées plutôt traditionnelle : c'est vers 1680 que l'on constate le début d'une crise générale, d'une crise des valeurs, voire d'une crise de la conscience européenne. C'est surtout la position de Mornet et de Hazard ; mais même Antoine Adam semble encore favorable à une telle argumentation .

    Ces deux conceptions, à savoir d'un côté la justification de la périodisation littéraire par le recours à l'histoire événementielle et, de l'autre, par celui à une histoire des idées, se retrouvent, quoiqu'avec des changements notables, dans les deux grandes synthèses d'histoire littéraire que représentent le Manuel d'histoire littéraire de la France des Éditions Sociales et la collection Littérature, française, éditée par Claude Pichois. Tandis que la première favorise les dates-charnière d'une histoire événementielle (1715, 1789, 1848, 1917) et ne tient pratiquement pas compte d'une période "postclassique", la deuxième plaide pour une périodisation sur la base d'une histoire des mentalités, qui, loin de la traditionnelle histoire des idées, tient compte, dans une très large mesure, de la dialectique entre les infrastructures matérielles et les superstructures mentales. En ce qui concerne la période postclassique, René Pomeau, qui en retrace l'histoire dans la Littérature française, la fait commencer en 1680 et se terminer en 1720. Pourquoi ces dates qui, sur le plan d'une histoire événementielle, ne correspondent pratiquement à rien ? Parce qu'elles indiquent toutes deux l'apparition d'une comète ou bien l'annonce d'une apparition de comète, deux événements presque identiques, qui pourtant, sur le plan des mentalités, provoquent des réactions contraires : peur, superstition, terreur auprès de la foule en 1680 et la réaction "éclairée" de quelques "intellectuels", de quelques "esprits forts" seulement ; et retour de la même comète annoncé pour 1719, mais la comète, attendue sans anxiété, voire avec curiosité même, ne paraît point. Il y a donc eu, pour Pomeau, un changement fondamental de mentalité entre 1680 et 1720, changement non seulement dans le domaine des mentalités, ou bien, comme diraient Mornet et Hazard, sur "le plan philosophique", mais changement aussi, et je dirais surtout, dans le domaine politique, économique, social, militaire et démographique. En se basant sur des raisons aussi complexes pour justifier la coupure entre deux périodes littéraires, la monocausalité de l'histoire événementielle est exclue. Ce qui est exclu aussi, c'est que les dates de coupure soient considérées comme absolues.

    La précarité d'une telle argumentation consiste pourtant, à mon avis, dans le fait qu'une importance bien trop grande est accordée aux phénomènes de la superstructure. Certes, non pas une priorité absolue, mais une priorité quand même. Et je me pose la question de savoir si des réactions superstitieuses ou bien éclairées face à un phénomène soi-disant surnaturel peuvent véritablement servir de repère à la périodisation littéraire. On retrouve la même superstition et la même réaction "éclairée" déjà dans une fable du premier recueil de La Fontaine : L'Astrologue qui se laisse tomber dans un puits (II 13 ; 1668), et encore dans trois fables du deuxième recueil (1678/79) : Les devineresses ; Un animal dans la lune (VII 14 et 17) et L'horoscope (VIII 16). Et si on étudiait attentivement les textes des libertins, on trouverait facilement d'autres exemples de la lutte contre la superstition. Certes, en 1680, les réactions sont plus nombreuses, elles se manifestent plus ouvertement et sont, de ce fait, sans doute l'indice d'un changement important dans le domaine des mentalités ; mais est-ce vraiment suffisant pour marquer et justifier une césure dans l'histoire littéraire ?

    Au lieu d'une périodisation selon les critères d'une histoire des mentalités, je plaiderais plutôt pour une périodisation qui s'orienterait d'après les grandes dates de l'histoire, mais d'une histoire non pas comprise comme histoire événementielle ou monocausale, mais une histoire dans laquelle les événements sont enchevêtrés intimement les uns avec les autres, où les différences entre causes et effets disparaissent, une histoire donc où règne une dialectique totale.

    Dans une telle perspective, il faudrait voir dans la mort de Colbert et dans la révocation de l'Édit de Nantes les deux dates-clefs qui achèvent une époque et en ouvrent une autre. Ce sont sans doute ces deux événements qui bouleversent de fond en comble la société française et ont pour conséquence que toute la production littéraire ultérieure ne peut guère que se ressentir des changements survenus entre-temps.

    Deux mots seulement pour caractériser cet enchevêtrement inextricable des événements. Lorsque Colbert, ministre détesté, meurt enfin le 6 septembre 1683, son influence sur la politique n'est plus depuis longtemps déterminante. Sa mort marque la fin - provisoire - d'une concentration et d'une expansion économiques sans égal ; mais elle signifie aussi une rupture au moins temporaire de l'ascension de la bourgeoisie et le début d'une réaction aristocratique, qui dans l'état utopique de la ville de Salente du Télémaque trouvera plus tard son expression littéraire adéquate. Est-ce Colbert qui a pu modérer la persécution des protestants dont il évaluait fort bien l'importance économique ? Ce qui paraît sûr c'est que sa mort, en liaison avec celle de Marie-Thérèse, survenue quelques semaines plus tôt seulement (30 juillet 83) et suivie bientôt par le mariage clandestin de Louis et de Mme de Maintenon, a cristallisé des tendances depuis longtemps perceptibles et qui mènent directement à la révocation de l'Édit de Nantes. Point n'est besoin de retracer ici les conséquences désastreuses dans tous les domaines de la vie sociale, économique, politique et culturelle que cette révocation a entraînées, conséquences seules peut-être comparables - dans l'histoire moderne - à celles provoquées par l'exode, l'expulsion et l'extermination des juifs dans l'Allemagne hitlérienne.

    Nous voici donc confrontés à deux événements historiques dont l'enchevêtrement est manifeste et dont les causes et les effets sont inextricables et multiples, tant sur le plan matériel que mental ; mais événements plus probants, à mon avis, et surtout plus riches en conséquences que ne l'est la réaction superstitieuse ou éclairée face à une comète.
    On ne saisit pas l'esprit ou "l'essence" de cette période qui s'ouvre à partir de 1683/85 en lui appliquant l'étiquette "postclassique". Rien ne sert non plus, à mon avis, pour éluder les difficultés terminologiques, de faire commencer le XVIIIe siècle, siècle des lumières, vers 1680, comme le font Bédier / Hazard et comme le suggère Werner Krauss . Ce même érudit propose encore de caractériser la période littéraire qui commencerait vers 1680 environ par le terme de "Frühaufklàrung", proposition reprise par René Pomeau . Mais ni "postclassicisme" ni "Frühaufklàrung" ne saisissent la totalité de la production littéraire de cette période ; à eux deux, ils évoquent bien son caractère ambigu ; ils montrent qu'une période touche à sa fin et qu'en même temps quelque chose de neuf est en voie d'élaboration. Une période donc entre deux siècles comme celle qui va de 1789 à 1814 ? Une période de transition, comme on a souvent prétendu ? De ce point de vue nous ne lui faisons guère justice, ni à cette période ni à toutes les autres périodes dites de transition. Je ne crois d'ailleurs pas qu'il en existe véritablement, ni dans la vie privée, ni dans la vie des peuples. Nous voilà donc en face d'un véritable dilemme.

    Pour nous tirer de cet embarras terminologique, je proposerais, ici et ailleurs, de faire table rase de toutes ces notions bien établies telles que classique, rococo, romantique, réaliste, symboliste et ainsi de suite, notions qui ne disent rien, qui n'expliquent rien, et qui, au fond, ne classifient rien - ou très peu seulement. Renonçons donc à "postclassicisme" et à "Frühaufklàrung" et parlons simplement de "la littérature de la fin du règne de Louis XIV", en ajoutant peut-être quelques dates-clefs. On enlèverait ainsi à la littérature de cette période le caractère idéologique contenu dans la notion de "postclassicisme", c'est-à-dire de littérature de déclin qui, sur le plan littéraire, refléterait le déclin d'une grande époque de l'histoire nationale. Mais on lui ôterait également les connotations idéologiques contenues dans la notion de "Frühaufklàrung", c'est-à-dire de période d'émancipation littéraire qui déjà, de loin, préparerait la "grande Révolution de 1789". Cette qualification de "littérature de la fin du règne de Louis XIV" me paraît proposer une évaluation idéologiquement aussi neutre que possible de cette période qui ne serait plus ni l'appendice d'une grandiose période de l'histoire nationale et littéraire, ni le prélude à un siècle qui bouleverserait enfin toutes les structures politiques et sociales.

    Et ce qui est valable pour cette période, pourquoi ne le serait-ce pas aussi pour d'autres ? L'étiquette "Littérature à l'apogée de la monarchie absolue de Louis XIV : 1660-1680" exprime davantage de réalité littéraire que la notion de "classicisme". Un tel titre comprend non seulement la littérature dite classique, comme par exemple les comédies régulières de Molière, mais aussi toute la littérature d'inspiration baroque comme par exemple les comédies de cour de Molière : La princesse d'Élide, Le sicilien, et autres, mais en fin de compte aussi et surtout l'immense littérature libertine condamnée à une existence souterraine.

    Je conclus. Le choix d'un genre littéraire, le choix d'une "thématique", mais aussi et surtout le choix de tel ou tel comportement stylistique ne dépend pas de l'appartenance de l'auteur à telle ou telle période littéraire, à tel ou tel mouvement. Ces périodes, ces mouvements sont eux-mêmes, dans l'extrême hétérogénéité des genres, thèmes et styles qui leur sont propres, l'expression de leur temps, sont conditionnés par leur époque. Ayons donc le courage de parler tout simplement de "la littérature au temps de François Ier", ou bien de "la littérature du Second Empire", ou bien encore de "la littérature de la fin du règne de Louis XIV", comme l'on parle déjà communément de "la littérature de l'Entre-deux-guerres", et comme, en histoire de l'art, on se sert couramment d'étiquettes historiques telles que : "style Louis XIII, Louis XIV" etc., "style Empire, Second Empire" et ainsi de suite. De telles qualifications historiques délimiteraient, également pour l'histoire littéraire, de façon satisfaisante les époques respectives sur le plan de la durée et résument en même temps, mieux que toutes les notions traditionnelles, leur immense diversité littéraire tout en permettant de respecter la particularité de ses individus, écoles, mouvements etc.

    Mais voici qui est plus important encore : la littérature n'est jamais un en-soi ; même les utopies littéraires qui s'éloignent le plus hardiment possible du contexte historique qui les fit naître, portent encore, comme par un procès de renversement dialectique, la marque de leur temps. Dans l'extrême diversité de ses manifestations, la littérature a toujours été plus fortement façonnée par l'histoire qu'elle ne l'a façonnée de son côté. C'est en nous servant de catégories empruntées à cette histoire générale, et non des catégories littéraires traditionnelles, que nous tenons le mieux possible compte de cette essence profondément historique de la littérature.

    Je conclus. Le choix d'un genre littéraire, le choix d'une "thématique", mais aussi et surtout le choix de tel ou tel comportement stylistique ne dépend pas de l'appartenance de l'auteur à telle ou telle période littéraire, à tel ou tel mouvement. Ces périodes, ces mouvements sont eux-mêmes, dans l'extrême hétérogénéité des genres, thèmes et styles qui leur sont propres, l'expression de leur temps, sont conditionnés par leur époque. Ayons donc le courage de parler tout simplement de "la littérature au temps de François Ier", ou bien de "la littérature du Second Empire", ou bien encore de "la littérature de la fin du règne de Louis XIV", comme l'on parle déjà communément de "la littérature de l'Entre-deux-guerres", et comme, en histoire de l'art, on se sert couramment d'étiquettes historiques telles que : "style Louis XIII, Louis XIV" etc., "style Empire, Second Empire" et ainsi de suite. De telles qualifications historiques délimiteraient, également pour l'histoire littéraire, de façon satisfaisante les époques respectives sur le plan de la durée et résument en même temps, mieux que toutes les notions traditionnelles, leur immense diversité littéraire tout en permettant de respecter la particularité de ses individus, écoles, mouvements etc.

    Mais voici qui est plus important encore : la littérature n'est jamais un en-soi ; même les utopies littéraires qui s'éloignent le plus hardiment possible du contexte historique qui les fit naître, portent encore, comme par un procès de renversement dialectique, la marque de leur temps. Dans l'extrême diversité de ses manifestations, la littérature a toujours été plus fortement façonnée par l'histoire qu'elle ne l'a façonnée de son côté. C'est en nous servant de catégories empruntées à cette histoire générale, et non des catégories littéraires traditionnelles, que nous tenons le mieux possible compte de cette essence profondément historique de la littérature.

    Jürgen GRIMM (Münster en Westphalie)